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23 janvier 2014 4 23 /01 /janvier /2014 09:46

Le coup d’État de mars 2013 a engendré une situation de guerre civile en République centrafricaine (RCA). La Séléka, à l’origine composée d’opposants et de milices chrétiennes et musulmanes, s’est transformée en milices terroristes qui pillaient et tuaient. Selon certains observateurs, la Séléka comprendrait près de 20 000 combattants, chiffre exagéré pour d’autres. Après avoir amené Michel Djotodia au pouvoir, ses combattants ont fait régner l’anarchie, sur le modèle du “printemps libyen”. Hétéroclites, ses forces comprennent aussi des seigneurs de guerre centrafricains, ainsi que des djihadistes tchadiens et des islamistes Djandjawid, venus du Soudan voisin. Sur RFI, Roland Marchal, chercheur au CNRS et spécialiste de la Centrafrique, note que la Séléka dispose d’un matériel important et suspecte qu’elle soit soutenue par d’autres mouvements armés étrangers, notamment venus du Darfour et du Tchad. Quant à Patrice Gourdin, il écrit que “les liens établis par la Séléka avec des pays musulmans (Soudan, Maroc ou Qatar, notamment) suscitent des interrogations et pourraient fournir matière à des tensions internes”. Selon ce chercheur, un rapport confidentiel datant de juillet 2013 faisait état de l’influence du Soudan voisin sur la Séléka, or on connaît les liens de Khartoum avec le Qatar et l’Arabie Saoudite, les principaux bailleurs de fonds et commanditaires du terrorisme international. Il est de notoriété publique que les djihadistes sont partout où une mission de déstabilisation leur est affectée, les conflits en Afghanistan, en Syrie et au Mali étant des preuves flagrantes qu’ils constituent les bras armés de l’impérialisme et du néocolonialisme. La stigmatisation du conflit interreligieux qui a commencé en Centrafrique semble donc entrer dans le cadre d’une stratégie plus vaste que ce qui apparaît pour le moment ; et il semble aussi qu’on prépare ce pays et toute la région à des bouleversements plus grands où “l’islamisme” aura à jouer un rôle de catalyseur pour une mise sous tutelle du pays, comme cela se passe au Mali et au Niger.
Comme au Mali, la nébuleuse djihadiste a donc fourni à la France l’occasion de s’ingérer en Centrafrique et d’y rester “autant que nécessaire pour cette mission”, selon François Hollande. Ce n’est, en tout cas, pas la durée qui compte mais la finalité. L’intervention française est indéniablement motivée par des considérations géostratégiques et économiques d’autant que la RCA occupe une place importante dans l’échiquier géopolitique actuel et que la préservation de ses exploitations d’uranium nécessitait une sécurisation militaire. Ainsi donc, les Français pourront reprendre en main les mines du Niger et maintenant celles de Centrafrique grâce à des opérations militaires rendues possible par la pagaïe apparemment préméditée des djihadistes. Ce qui est sûr, c’est que le Qatar est un bailleur de fonds de la nébuleuse terroriste et qu’il est actionnaire dans l’entreprise française Areva, qui exploite l’uranium au Niger et en Centrafrique.
N’hésitant jamais à jouer les justiciers, la France est cotée comme pays interventionniste fiable avec un président qui sait marier le credo de l’humanisme aux devises cocorico. D’ailleurs, sur le registre diplomatique et politique, l’intervention au Mali a permis de rehausser l’ego français, car on a vu des milliers de gens brandissant le drapeau tricolore dans les rues de Bamako, Gao, Tombouctou et ailleurs. C’est ce qu’on a également vu dans les villes centrafricaines. Contre la Syrie, la France a été le pays le plus va-t-en-guerre de tous les Occidentaux, après avoir joué un rôle prépondérant en Libye, contre Mouammar Kadhafi. Cette attitude belliciste vaut même à Paris l’admiration des plus conservateurs des Américains, comme le sénateur John McCain et Lindsey Graham, un autre néoconservateur extrémiste. Venant à point nommé, au moment où le président Hollande est en chute libre dans les sondages, les crises africaines en Centrafrique et au Nord- Mali ont été l’occasion pour lui d’affirmer “les obligations internationales de la France” en matière de paix, de sécurité et de droits de l’homme. C’est l’Élysée qui a fait le lit de tous les dictateurs de ce pays qui subit désormais la destruction de l’unité nationale, l’anarchie et les guerres fratricides, et c’est encore elle qui s’ingère pour y ramener l’ordre et la paix civiles, mais à quel prix encore ?

Les bases militaires à l’heure de “l’humanitaire”
Seul le président Hollande arrive, cinquante ans après la fin des colonialismes, à convoquer une quarantaine de chef d’États et de gouvernements africains, comme s’ils étaient encore sous tutelle... En tout cas, les plus racistes des impérialistes ont trouvé dans ce sommet de l'Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique un argument supplémentaire pour affirmer l’incapacité des Africains à construire des États-nations et à gérer leurs pays… Le nouveau bellicisme et la nouvelle stratégie diplomatique de François Hollande ne s’expliquent donc pas uniquement par de simples préoccupations de politique intérieure. Ils s’inscrivent dans le cadre françafrique qui a toujours fait de son pays le gendarme du continent. Comme Nicolas Sarkozy, François Hollande hérite de cette politique néocoloniale tracée par Charles de Gaulle, Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand et Jacques Chirac. Tout en sachant préserver l’influence historique française dans le continent, notamment face à la Chine et aux USA, il possède l’art de ne jamais se laisser surprendre en treillis de néocolonialiste. Ce magicien des droits de l’homme et des subterfuges y afférents est doublé d’un expert en coups de poignard dans le dos suivis de tapes amicales et de sourires gros comme ça. Ce machiavélisme lui permet de préserver le pré carré français dans les anciens DOM-TOM, dans la logique d’une gauche qui s’estime, depuis la fondation de la Première République, le devoir de propager les valeurs progressistes en Afrique et dans le monde, en vérité de les saper pour asseoir ses intérêts.
Les pays africains n’ont pas une véritable politique de la sécurité, surtout depuis la mort de Kadhafi qui a essayé de dynamiser le continent et son Union. Ce vide laisse le champ libre à une France qui y trouve toujours un terrain de prédilection pour son bellicisme et son hégémonie. La misère de la Centrafrique est aussi liée au fait qu’elle utilise le franc CFA, tout comme les pays auxquels Kadhafi avait promis de créer une monnaie nationale non surévaluée et qui permette leur développement. Tout comme la Côte d’Ivoire et le Mali où des interventions françaises ont eu lieu en 2011 et 2012.
C’est François Mitterrand qui a mis le colonel Mansion au cœur de l’appareil d’État centrafricain pour le contrôler... Pour empêcher les dérives de Bangui côté Kadhafi ou côté Pékin, l’Élysée renflouait les caisses de l’État centrafricain pour payer ses fonctionnaires. Quant aux plans d’ajustement structurel du FMI, ils se sont succédé sans réellement aider ce pays déstructuré à se construire, car on ne peut l’aider et le saper en même temps. Probablement sincère, le président Chriac a dit : “On oublie une chose : c’est qu’une grande partie de l’argent qui est dans notre porte-monnaie vient précisément de l’exploitation depuis des siècles de l’Afrique. Pas uniquement, mais beaucoup vient de l’exploitation de l’Afrique ! Alors il faut avoir un petit peu de bon sens. Je ne dis pas de générosité, mais de bon sens, de justice pour rendre aux Africains, ce qu’on leur a pris. D’autant que c’est nécessaire si l’on veut éviter les pires convulsions ou les difficultés avec les conséquences politiques que ça comporte dans le proche avenir.” Il ne fera rien d’autre que de retirer ses troupes de la RCA où elles étaient devenues inutiles en cette conjoncture-là. Les convulsions sont là mais François Hollande semble loin de la volonté de générosité et de bon sens de son prédécesseur.
Patrice Gourdin, dans Diploweb.com, écrit : “Les multiples ingérences passées avaient fait de la RCA l’État-type de la Françafrique, cet ensemble de relations personnelles et de dispositifs politiques, économiques et militaires qui lièrent la France à ses anciennes colonies africaines jusqu’à nos jours. Mis en place sous la présidence de Gaulle par Jacques Foccart, il s’agit d’un véritable système, destiné à préserver les intérêts de la France dans son ancien domaine colonial. Mécanique complexe et à deux faces, la Françafrique reposait, d’une part, sur une coopération étroite et, autant que possible, exclusive dans les domaines économique, financier, culturel, diplomatique et militaire. Elle tire sa réputation sulfureuse du fait que, d’autre part, elle conduisit plusieurs fois à soutenir des dictatures, organiser, cautionner ou tolérer des coups d’État et des assassinats politiques, voire détourner des fonds et financer illégalement des partis politiques.”
Durant la guerre froide, la RCA a servi de plaque tournante au dispositif militaire français, pour les nombreux putschs et opérations qu’elle a menés en Afrique, notamment en Angola et contre Kadhafi. Dans les années 1990, elle a perdu cet intérêt militaire pour Paris, qui a donc fermé ses bases de Bouar et de Bangui (1998). Aujourd’hui, du fait de la compétition avec les USA et la Chine, l’Élysée semble reconsidérer cet atout d’un œil nouveau. La Françafrique tantôt elle vient, tantôt elle part, selon ses intérêts. D’autant qu’aujourd’hui, il n’y a pas que Bolloré et France Télécom en RCA : il y a deux autres sociétés françaises, Areva et Total, qui, de surcroît, ont pour associé le Qatar, pays belliciste par excellence…
L’intervention française en Afrique est rendue possible par des raisons objectives : Paris dispose d'une présence militaire au Tchad, à Djibouti, en Côte d'Ivoire, au Sénégal et au Gabon qui autorise l’envoi des troupes et leur soutien en cas de nécessité. C’est donc la seule puissance capable d’y intervenir en urgence, outre le fait qu’elle considère ce continent comme sa zone d’influence, sinon sa chasse gardée ; et encore plus la Centrafrique, où l’uranium et les diamants sont en jeu désormais que la géopolitique et les ressources semblent redevenues fondamentales pour un plan cocorico de reconquête de la région.
Comme au Mali, le poids de la dette dans le budget national rend difficile le développement de la Centrafrique. L’absence de ressources financières (arriérés de paiement des salaires des fonctionnaires, grèves et mouvements sociaux) fragilisent les institutions et aggravent les conflits sociaux. Sans moyens, même l’armée est inefficace et c’est ce qui a mené à la situation actuelle qui a rendu les frontières perméables aux rebelles tchadiens, nigérians et soudanais ainsi qu’aux braconniers d’éléphants, aux trafiquants de drogue et aux bandits de grands chemins… Aujourd’hui encore, grâce au jeu troubles d’une poignée de moudjahidine, les bases françaises se trouvent justifiées par leurs “missions humanitaires”, d’autant qu’une double faillite, africaine et centrafricaine, ont autorisé une ingérence annoncée dans un État failli…

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