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23 janvier 2014 4 23 /01 /janvier /2014 09:44

Cinq années après avoir fini par substituer le terme de Guerre d’Algérie à l’expression Opérations effectuées en Afrique du Nord (loi d’octobre 1999), le Parlement français vote une autre loi où il est question de bienfait colonial en Afrique du Nord.

Il y a amalgame entre la reconnaissance d’une nation envers ses rapatriés et l’agression mémorielle contre une autre nation qui a souffert des affres du colonialisme, comme vient de le rappeler le Président français en visite en Algérie. Les premiers intellectuels à réagir contre cette usurpation de fonction scientifique de la part du politique sont les intellectuels français, les historiens en particulier. Leur réaction interpelle leurs homologues algériens, en premier les chercheurs en sciences sociales et bien évidemment les historiens spécialement. Dans ce sens, le présent article se propose d’être une modeste contribution à la connaissance scientifique de l’évolution de la société algérienne dans le système colonialiste et l’impact que celui-ci a eu sur elle dans son développement humain.
L’ensemble des chercheurs à travers le monde s’accorde à dire aujourd’hui que les deux piliers essentiels du développement humain sont : la santé qui favorise le développement physique, psychique et anthropométrique ; et l’éducation qui détermine l’émancipation culturelle, intellectuelle et spirituelle de l’homme, ainsi que ses progrès scientifiques et technologiques.

L’indigénat, un statut déshumanisant
La mainmise coloniale progressive sur la terre algérienne s’est faite par la force des armes et l’expropriation administrative des Algériens de leurs terres, sous les coups de lois qui visent à déstructurer l’ordre économique traditionnel, comme la loi Warnier. Un stratagème implacable est mis en place à travers la relégation de l’Algérien à un statut d’infériorité, sans même l’espoir de naturalisation, en même temps que l’octroi de la nationalité française à tous les indigents venus d’Europe chercher fortune en Algérie. La déstructuration de la base économique traditionnelle solidaire tribale et l’introduction du marché, inconnu jusqu’ici, forcent inéluctablement les Algériens à la déchéance, à la famine et aux épidémies. La déstabilisation économique de la société algérienne l’a extrêmement fragilisée. Les tentatives d’extermination par les armes qui ont échoué se poursuivront par la faim et la maladie.
Au milieu du siècle passé, il est relevé que l’espérance de vie des Européens en Algérie (60 ans pour les hommes et 67 ans pour les femmes) est 2 fois plus élevée que celle des indigènes. à la veille de l’indépendance, cette dernière est estimée à 47 ans environ, malgré les mesures sociales prises par le gouvernement français en faveur des Algériens après le déclenchement de la guerre de libération. Depuis l’indépendance, et grâce à la politique sociale de “perfusion de réanimation” devrait-on dire, l’espérance de vie des Algériens s’est beaucoup rapprochée de celle des Français aujourd’hui (respectivement 76 ans et 82 ans en 2012). Sur un autre plan, des indications fort intéressantes sont données qui montrent que la scolarisation des enfants était un fait largement répandu dans les principales villes algériennes, comme Alger, Constantine, Tlemcen, et d’autres villes de l’intérieur qui pullulaient de zaouïas et de médersas, l’équivalent des écoles religieuses et privées européennes, avant l’occupation. Le monde rural avait aussi ses jouama’ (mosquées avec médersa) disséminés à travers villages et hameaux. Même les enfants de bédouins bénéficiaient de l’enseignement d’un taleb itinérant, saisonnier. Le premier acte de la colonisation a été de fermer les médersas et d’en soumettre l’ouverture à autorisation militaire. Pour les écoles des autres cultes, chrétien et israélite, une simple déclaration auprès du ministère de l’Education, via l’administration locale, suffisait. Jules Ferry, surnommé le père de l’enseignement laïque, avait une conception bien singulière de la laïcité lorsqu’il s’agissait des indigènes : la civilisation pour les races inférieures signifiait la soumission et l’asservissement “civilisé”. Comme on a pu le constater à l’indépendance, les cadres supérieurs ou même intermédiaires étaient presque tous de la communauté coloniale. Pendant 132 ans, alors que l’Algérie était française, il n’y a pas eu un seul transfert technologique, même pas pour fabriquer un clou, bien que la France métropolitaine ait été, depuis très longtemps, parmi le peloton de tête des nations les plus avancées. Et, comme les autres domaines du savoir, les deux secteurs qui sont à la base du développement humain ont été pratiquement fermés aux Algériens : l’agronomie et la médecine. Le bilan colonial, en termes de développement humain en Algérie, ne plaide pas en faveur de la loi française de 2005. L’objectif réel de toute colonisation est la domination des colonisés et l’exploitation de leurs richesses au profit de la puissance coloniale.
Une fois le pays occupé, il ne fallait surtout pas que les indigènes soumis se transforment en rebelles. Pour cela, l’écrasante majorité de la population devait être maintenue dans la nécessité et l’ignorance. Parmi la classe politique française, il y a des hommes comme Claude Cheysson qui ont admis cette vérité. à Djenane El-Mithak, lors d’une conférence, en plein milieu de la tragédie nationale, il avait déclaré : “La France devrait avoir honte d’avoir légué à l’Algérie 93% d’analphabètes.”

Les bienfaits de l’indépendance sont manifestes
Le démographe-chercheur Kamel Kateb relève que, durant les premières décennies de la colonisation, l’évolution démographique coloniale est ascendante, alors que celle des Algériens va dans le sens contraire. Les tendances s’inverseront dès le milieu du XXe siècle, mais il faudra attendre l’indépendance pour que le développement humain algérien reprenne vraiment, en termes de santé et de culture.
Les stratèges de la colonisation projetaient de vider l’Algérie de sa population pour y installer une autre, venue d’Europe. Les lois de l’histoire et de la démographie ont fait que ce soit la France qui accueille aujourd’hui près de 3 millions de résidents d’origine algérienne.
Ayant hérité d’une population en grande majorité exsangue, mal-nourrie et morbide, l’État algérien indépendant se devait d’engager une lutte pour la restauration d’une santé publique et d’une anthropométrie évolutive. Qu’il s’agisse de production agricole, en termes absolus ou de rendement à l’hectare, les progrès sont bien réels, quoique très insuffisants par rapport à la demande céréalière de la population algérienne en rapide croissance. La production céréalière, en termes absolus, a ainsi doublé (95,4%) sur la période. Les rendements à l’hectare ont plus que doublé, passant d’environ 6,35 q/ha en moyenne (valeur médiane) durant la première décennie de la période à environ 14,2 q/ha pour la dernière décennie. Mais rattrapée par une croissance démographique exponentielle, l’Algérie a dû recourir à l’importation pour combler le déficit.
La raison de l’augmentation de la facture alimentaire à l’importation n’est, cependant, pas seulement quantitative. Elle est aussi qualitative, parce que la politique alimentaire/nutritionnelle et de santé publique depuis l’indépendance se devait de rétablir une tendance à l’évolution anthropométrique positive. Elle se devait d’importer les compléments nutritifs qu’elle ne produit pas ou qu’elle produit en quantité insuffisante. Ce genre de denrées, comme les protéines et les produits calorifiques et riches en éléments nutritifs divers, est généralement chèrement facturé sur le marché international. Le résultat des efforts nutritionnels est probant. En 2011, la proportion des mal-nourris est tombée à 0,5%, soit trois fois moins que l’objectif du millénaire (OMD) à l’horizon 2015. Grâce à des programmes d'éradication épidémiologique d’envergure lancés par le pays, aidé en cela par la coopération internationale, bilatérale et multilatérale des deux camps de la guerre froide, surtout de l’OMS, la population algérienne a pu être soulagée de plusieurs épidémies endémiques, dès la seconde décennie de l’indépendance. La priorité était donnée à la protection de la mère et de l’enfant parce que la mortalité infantile, juvénile et maternelle était anormalement élevée. Les progrès de la lutte antiépidémique et le développement médical créent un nouveau contexte sanitaire, beaucoup plus favorable au développement humain rapide et massif. Le ratio médecin/population, par exemple, est passé de 1/8112 en 1966 (l’écrasante majorité des médecins étaient des étrangers) à 1/640 en 2010 (les médecins sont algériens). Les dépenses en santé par rapport à la production intérieure brute (DNS/PIB) ont beaucoup progressé en volume et à un rythme rapide, au moment où le PIB ne cesse d’augmenter ; de 1,6% en 1973, elles ont atteint 5,2% en 1988 et dernièrement 5,4% en 2011. Les progrès en termes de nutrition et de santé en général sont allés de pair avec une généralisation rapide de la scolarisation. À l’indépendance, le taux de scolarisation des enfants n’atteignait pas 20%, avec une large prédominance masculine. Aujourd’hui, ce taux atteint 98% et l’écart en termes de genre est devenu négligeable. Aux niveaux moyen et secondaire, on observe ces dernières années, une tendance à la “féminisation” des taux de réussite, de même qu’à l’université. La très forte réduction de l’analphabétisme et les progrès de scolarisation exemplaires ont valu à l’Algérie d’être plusieurs fois distinguée par les experts de l’Unesco et de l’Unicef.
La formation en médecine et dans l’agriculture, deux domaines qui ont un lien direct avec le développement humain, a comblé le déficit hérité de la colonisation et au-delà. Le développement humain en Algérie n’est pas seulement une réalité quantitative et physique. Il s’exprime aussi en termes qualitatifs, notamment en ce qui concerne la question du genre qui a accusé un grand retard, dû aussi bien à l’impact direct du colonialisme sur le blocage historique de la société algérienne qu’à l’impact indirect de ce même colonialisme par son renforcement des forces les plus rétrogrades de la société, dont la victime première est la femme. Les données disponibles indiquent que l’indice sexo-spécifique du développement humain (ISDH) est passé de 0,725 en 2006 à 0,732 en 2007 puis à 0,745 en 2008. Le progrès le plus significatif dans ce domaine est celui de la participation politique féminine. Depuis la parution d’une nouvelle loi électorale en 2012, l’Algérie compte parmi les rares pays (30 sur les 193 que compte l’Organisation onusienne) à avoir atteint l’objectif du millénaire avant terme, en matière de participation féminine aux assemblées élues, à tous les niveaux politiques du pays, à un minimum de 30% fixé par l’ONU.
À la veille du cinquantenaire de son indépendance, célébré le 5 juillet 2013, l’Algérie a été distinguée par l’organisation mondiale pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), lors d’un événement spécial en marge de sa 38e Conférence. La distinction a été adressée à l’Algérie, pour avoir réalisé l'Objectif numéro un du millénaire pour le développement avant l’échéance fixée à 2015.
Le pays a réalisé d’autres Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), qui sont au nombre de huit. La pauvreté extrême qui était quasi générale au moment de l’accès du pays à son indépendance avait été estimée à 1,8% en 1988. Elle est passée à 0,6% en 2005 pour s'établir à 0,4% en 2011, alors que l'objectif était fixé à 0,8% en 2015. Les bienfaits de l’indépendance sont aussi manifestes sur la population algérienne que l’ont été, jadis, ceux du colonialisme sur la population coloniale venue d’Europe, souvent poussée par ses conditions socioéconomiques et culturelles difficiles. Après avoir accompli ces progrès massifs, les Algériens sont aujourd’hui revendicatifs et plus exigeants sur la qualité, à commencer par celle de la vie, en termes de liberté, démocratie et civilisation.

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