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10 novembre 2015 2 10 /11 /novembre /2015 12:26
Zohra-Drif Bitat

Zohra-Drif Bitat

Elle retient difficilement sa colère. Si pour l’instant, elle ne veut pas «renverser» la table, c’est qu’elle mesure la gravité et surtout la complexité de la situation. Zohra Drif-Bitat veut en avoir le «cœur net» avant de passer, avec ses «camarades», à une autre étape. Ce qu’elle redoute le plus est que «les mêmes forces qui, au XIXe siècle, ont poussé des Etats à aller conquérir d’autres pays sont de nouveau en branle avec des complicité internes».

Vous êtes une amie de longue date de Abdelaziz Bouteflika. A quand remonte votre dernière entrevue ?

Je ne m’en souviens plus. Je l’ai vu de loin lors de sa prestation de serment, quand il a été reconduit dans son mandat de président de la République. Il y a très longtemps que je n’ai pas vu le Président et que je n’ai pas discuté avec lui.

- Est-ce pour des raisons de divergences politiques ?

Il faut lui poser la question à lui.

- Dans votre démarche, vous doutez qu’il soit au courant des décisions prises. Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

Le personnage politique avec lequel je me suis engagée et les objectifs qu’il visait au moment où il a brigué le mandat de Président ne correspondent absolument pas aux décisions lourdes de conséquences prises ces derniers temps. Je juge que ce sont des décisions dangereuses pour le pays. Fondamentalement, il me paraît s’exprimer un abandon de souveraineté nationale. Et là, je pense à ce pays qui a durement payé en vies humaines l’accession à l’indépendance.

C’est d’une extrême gravité et les implications seront terribles, plus qu’on ne l’imagine. On peut revenir sur tout, mais pas sur la souveraineté, pas sur l’indépendance du pays. Constater qu’il y des décisions qui battent en brèche ce principe est insupportable. Le but de la démarche que nous avons entreprise est d’alerter notre opinion publique sur l’impact pour le présent et surtout pour le futur de certaines décisions.

- Vous qui connaissez si bien le Président, comment croyez-vous qu’il réagira à votre démarche ?

Ecoutez, c’est l’objet de notre démarche. Rencontrer notre Président et lui exposer nos craintes. Et j’espère qu’il va nous recevoir, si notre lettre lui parvient. Il connaît l’ensemble des signataires et n’ignore pas notre engagement pour le pays et la sincérité de nos décisions, sachant que nous n’avons jamais placé notre intérêt personnel avant l’intérêt suprême de l’Etat. Il y a une profonde sincérité dans notre démarche et je ne vois pas ce qui pourrait l’empêcher de nous recevoir.

- Peut-être l’oligarchie que vous dénoncez dans votre lettre l’en empêcherait…

Je ne peux pas répondre, on verra bien.

- Vous n’êtes pas sans savoir que cette oligarchie que vous dénoncez a pris forme et force sous le règne de Bouteflika. A-t-il laissé faire ?

S’il nous reçoit, ce sera l’une des questions dont nous allons discuter avec lui et que nous soulèverons avec force. A ce moment-là, on pourra répondre à votre question.

- Comment cette oligarchie est devenue si puissante et se met à conquérir le pouvoir politique ?

En effet, c’est ce que nous constatons depuis un certain temps. Le responsable du Forum des chefs d’entreprises (Ali Haddad, ndlr), effectivement, s’immisce dans les affaires de l’Etat. Je me souviens que lors de la réunion à El Aurassi, quand l’ensemble des ministres avaient été convoqués, c’estt lui qui avait la parole. Cette image m’a interpellée, comme beaucoup d’Algériens. Toutes ces questions, nous allons en faire part au Président.

- Beaucoup d’observateurs pensent que le Président est au courant de tout et qu’il est d’accord avec les choix opérés…

Je veux d’abord vérifier avant d’affirmer. Et c’est auprès de lui que nous pourrons le faire. Ce que je peux dire par contre, c’est qu’il y a des lois, notamment cette décision à travers un article de loi de finances qui formalise le renoncement de l’Etat au droit de préemption. Ce qui nous paraît très grave. C’est d’une extrême gravité. C’est un droit constitutif des pouvoirs d’un Etat et je ne pense pas que des Etats décident de rejeter ce droit qui est l’expression de la souveraineté de l’Etat. Qu’on ne vienne pas nous dire, après, «nous ne savions pas»...

- Aujourd’hui, quelle analyse faites-vous du fonctionnement du système du pouvoir ?

C’est une question très complexe ; pour y répondre, il faut une analyse très poussée pour en tirer les conclusions. Il y a la Constitution qui est très claire et détermine les pouvoirs des uns et des autres, mais dans la pratique, nous constatons, comme l’ensemble des citoyens et citoyennes, un délitement de l’Etat. Les prérogatives des uns et des autres sont totalement brouillées et les citoyens le subissent de manière quotidienne, un quotidien face au néant de l’administration. Les gens ne savent plus où donner de la tête. L’Algérien d’aujourd’hui est pris dans un monde kafkaïen. Pour régler un simple problème, c’est la croix et la bannière. Alors que les prérogatives sont parfaitement définies par les lois.

- Sommes-nous dans un pouvoir informel ?

Je dis bien qu’il y a un délitement de l’Etat. C’est le terme qui résume la situation du pays aujourd’hui. C’est-à-dire – et c’est d’autant plus grave – que plus personne n’est responsable de rien. Il faut le dire, et le Président doit s’en rende compte, il y a un état de fait : nous avons le sentiment que les personnes qui détiennent le pouvoir n’ont pas la responsabilité et que celles qui ont la responsabilité n’ont pas le pouvoir. Cela crée une situation de blocage général. Quand vous discutez avec les agents de l’Etat habilités à prendre des décisions, on vous répond : «Allez voir à tel niveau», alors que ça relève de leur compétence.

Il y a, dans toute la chaîne de l’Etat, à différents niveaux, des hésitations à prendre des décisions, parce que parfois le pouvoir ne leur est pas donné alors qu’ils en ont la responsabilité. J’ai entendu dire des ministres qu’ils n’ont «pas le pouvoir» alors que leur lettre de mission leur en donne la responsabilité. «Les walis sont devenus des super-ministres», disent-ils.

- Comment stopper les dérives dont vous faites part dans votre lettre ?

Il faut revenir aux fondamentaux. Il y a une Constitution, qui précise les devoirs de chaque institution, qu’il faut strictement respecter.

- Quelle appréciation faites-vous des changements opérés au sein de l’armée ?

Honnêtement, il m’est difficile de parler d’un problème dont je n’ai pas les données exactes. Mais je peux rappeler qu’à un moment où la République était en péril, l’armée était présente et a rempli son rôle constitutionnel. Nous devons lui être reconnaissants pour avoir, à un moment de graves dérives dans notre pays, été un rempart pour l’Etat républicain. Je n’oublierai jamais cela.

- Le chef de cabinet du Président, Ahmed Ouyahia, a réagi à votre lettre en la rejetant. Est-ce un barrage dressé contre votre démarche ?

Monsieur Ouyahia oublie que nous sommes des citoyens avec des devoirs que nous remplissons et des droits que nous voulons exercer. Le premier des droits est de s’adresser à celui qui a été élu au suffrage universel par le peuple. Le peuple a des droits qu’il faut respecter. Je suis vraiment peinée qu’un responsable de ce niveau dénie à des citoyens le droit fondamental de s’adresser à leur Président. Et puisque vous parlez de lui, je veux dire à quel point je suis indignée par ses propos. Que des personnes comme Guerroudj, Fettal, Lemkami et moi-même peuvent être manipulées est indigne. Comment ose-t-il tenir de tels propos ?

C’est en toute responsabilité que nous avons pris cette décision de nous adresser à notre Président, avec tout le respect qui lui est dû, pour lui demander audience. Je ne vois pas en quoi nous avons pu porter atteinte à la fonction du Président. Je dis au Président : «Nous voulons vous voir, est-ce que vous nous entendez ?» En tout cas, le Président que j’ai connu a toujours été attentif aux militants et à son peuple.

- Vous avez exprimé beaucoup d’inquiétudes, mais qu’est-ce qui vous inquiète le plus ?

Ce qui me fait peur et m’inquiète le plus est que les mêmes forces qui, au XIXe siècle, ont poussé des Etats à aller conquérir d’autres pays et même les coloniser sont de nouveau en branle. Je pense que nous sommes en danger, sous une autre forme bien évidemment, d’être sous la domination de puissances d’argent étrangères.

- Avec la complicité des relais nationaux ?

Les complicités internes ont toujours existé. La démarche est si insidieuse que l’on peut se retrouver brusquement et totalement pieds et poings liés par des moyens de domination. En tout cas, les forces de l’argent internes ne s’en cachent pas, je pense que c’est évident, en collaboration avec le capital international.

- Vous dénonciez un renoncement à la souveraineté. Ce renoncement ne s’est-il pas exprimé lors d’une réunion de sécurité nationale tenue aux Invalides, sous le portrait de François Hollande ?

Sans commentaire...

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