Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
19 octobre 2015 1 19 /10 /octobre /2015 14:52
Mourad Ouchichi

Mourad Ouchichi

- La hausse de la consommation ces dernières années, celle des salaires et des dépenses, l’acquisition des biens de consommations durables nous donnent-ils une idée précise sur le profil de la classe moyenne algérienne ?

Nous croyons que le concept de classe n’est pas vraiment adéquat pour ce qui est de l’Algérie, nous lui préférons de loin le terme de couches sociales. Pourquoi ? L’Algérie n’est pas dans un système capitaliste dans lequel la création de richesses et l’accumulation du capital provient du travail. Elle n’était pas non plus socialiste jusqu’à la fin des années 1980. C’est pourquoi il est plus judicieux de parler d’une économie administrée pour ce qui est de la période anté-1980, et de l’économie semi-administrée de 1989 à nos jours.

Dans les deux cas, l’Algérie évolue dans une économie rentière à couches sociales mouvantes et sans conscience de classe au sens historique du terme. Nous n’avions pas une classe prolétaire au sens classique du terme lorsque le régime définissait son système de socialiste et nous n’avons pas de bourgeoisie non plus quand le discours officiel qualifie notre système économique de libéral ou de marché. On est dans un système précapitaliste obéissant à ce que K. Marx appelle «l’accumulation primitive du capital». Dans un tel système, les rentes et les positions rentières prédominent et la formation de classes sociales se fait dans la violence (sous toutes ses formes) et la prédation généralisée.

Au sommet de la pyramide sociale, ce n’est pas la bourgeoisie qui règne mais des riches prédateurs et en bas ce ne sont pas des prolétaires, mais juste des journaliers. Entre les deux, il y a bien évidemment ceux qui gagnent leur revenu par le travail - de l’entrepreneur honnête à l’ouvrier correct - et ce sont eux qui sont objet de tous les chantages et ponctions ; en bref, ils sont les premières et les dernières victimes de ce genre du système.

- La redistribution sous différentes formes de la rente (subventions, Ansej, hausse de salaires) n’a-t-elle pas plutôt favorisé la création d’une classe moyenne que les spécialistes définissent comme «flottante», plus fragile et plus susceptible de retomber dans la pauvreté en période de crise ?

La couche moyenne dont vous parlez est effectivement flottante et éphémère, car elle ne tire pas son revenu d’un système économique créateur de richesses. Il y a eu dans ce pays une sorte de «dopage» social intenable. La rente permet de créer des couches sociales artificielles en fonction de la conjoncture politique et des visées des dirigeants. La «classe» moyenne va certainement retomber dans la précarité, car le régime n’aura plus les moyens de l’entretenir.

- Y a-t-il avec la crise qui se profile et au vu des mesures d’austérité qui sont et seront prises un risque réel de voir la société divisée en deux catégories : celle des riches et celle des pauvres ?

La couche sociale artificielle créée par la redistribution de la rente va pâtir du fait des mesures d’austérité prises maintenant et ultérieurement. Notre système est construit sous forme de cercles concentriques qui s’élargissent et se rétrécissent en fonction des conjonctures. Dès que la rente est abondante, le cercle des bénéficiaires s’élargit, c’était le cas avec les plans anti-pénuries des années 1980 et les années 2000. Maintenant que la rente baisse, le cercle des profiteurs va se rétrécir naturellement. On se dirige naturellement vers une société à deux
couches : celle qui contrôle directement la rente, et celle qui paye le prix des ajustements de la gestion de cette même rente.

- Quels peuvent être les moyens de résilience s’il y en a pour ces catégories de population ? Peuvent-ils capitaliser sur l’épargne par exemple ?

Dans un pays à système économique obéissant aux règles du marché, l’épargne constitue un apanage pour les moments de crise, mais chez nous les gens ne sont pas dans une perspective d’épargne, car ils savent, par expérience, que le dinar perd de sa valeur du fait de l’inflation structurelle. Il n’est donc pas possible de tabler sur l’épargne.

Ce qui va se passer, et cela est souligné plus haut, une fracture prononcée au sein de la société entre les riches et les pauvres. Mais la question qui se pose est celle de savoir pourquoi la valeur du dinar est en chute permanente. L’inflation est l’expression d’une injection des sommes monétaires colossales sans contrepartie en biens et services produits par l’économie nationale.

Comme l’Algérie est dépendante totalement de la rente pétrolière et que le régime injecte systématiquement des sommes colossales pour assurer la paix sociale, le dinar est devenu une monnaie de singe. Il est d’ailleurs significatif de constater que les algériens s’empressent à convertir leurs gains en euros ou en dollars, car ils n’ont aucune confiance dans le dinar. A ce propos, il est temps de rappeler que l’Algérie doit aller vers une adoption d’un nouveau dinar convertible, donc soumis aux règles de la concurrence internationale.

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Blog de Kamal Guerroua
  • : Blog ayant pour intérêt la préparation au changement en Algérie
  • Contact

Recherche

Liens