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23 septembre 2013 1 23 /09 /septembre /2013 08:54

Lorsque je t'ai connue, je suis tombé dans un puits. Et ma voix s'est éteinte dans ta douleur. Là j'ai déduit que la vie n'est qu'un grand mensonge et qu'en sais-je encore?

En ce soir pluvieux, je reste cloîtré chez moi car je déteste les colères, je déteste le froid! De ma fenêtre, je vois des gens pressés courir dans toutes les directions, des ruisseaux d'eau se jeter aux caniveaux, la moiteur, la terre mouillée, la grisaille et une grêle crépitante se fracasser sur les vitres de voitures garées en bas de l'immeuble où j'habite. Je suis triste! La ville ressemble à ton visage et mon cœur endeuillé par ton absence lâche ses larmes sur ses toits. J'ai pensé alors t'écrire un poème mais le souci majeur dans ma démarche, c'est que tu n'a jamais su lire ce genre de littérature éculée ou, prédis-je encore, tu as honte de le faire! Les poèmes chez nous, c'est pour les tordus, les moins-que-rien, les flemmards! Un poème dans mon pays, ça ne sert absolument à rien, ça ne construit pas des ponts ou des usines ni ne fabrique des machines, ça n'achète pas des bolides rutilants, des pavillons ou des palaces au bord des plages, ça n'a pas l'odeur de strass, de confettis ou de paillettes. Un poème ça ne crée pas des prébendes, c'est pas «tchi-tchi», c'est classique et terne quoi! En plus, ça ne nourrit pas les bedaines des corrompus puisqu'il les incite, à leur grand malheur, à un surplus d'effort de compréhension! Par corrompus, je veux dire ma chère sœur, les khobzistes, les connais-tu ceux là? Je n'en suis pas sûr du tout! Je sais seulement que ce nom t’effraie et prête assez souvent à confusion dans ton petit lexique de citoyenne assujettie. Car, maintenant, si adulés dans notre société, ces gens-là ont d'autres épithètes non moins racoleuses, «hallabas», «shab shekara», «béni oui-oui» et j'en passe. Des épithètes qui les portent aux nues et les mettent, quel dommage, à l'abri de toute suspicion. Ils sont devenus des stars sur le podium de l’ignorance mais aussi des têtes insaisissables qui brouillent les pistes du plus fin des limiers. Ils subjuguent, toute honte bue, les maires, s'attirent les faveurs des députés et flouent sans coup férir des officiels. On dirait des caméléons qui changent la couleur de leur peau et le cliché de leur logiciel au gré des humeurs du climat et la topographie des lieux. Plus grave encore, ils ne se contentent pas uniquement dans leur entreprise malhonnête de s'accaparer indûment notre «pain nu» comme dirait le romancier marocain Mohammed Choukri mais cherchent en plus noise derrière notre mesquine quiétude. Terrible!

Les khobzistes! Que sais-je? Des trublions dans nos stades et des baratineurs dans nos rues, des cambistes cupides dans nos marchés et des pieux croyants dans nos mosquées, des fournisseurs d'essence à nos stations-services et des voleurs à la sauvette de leurs réservoirs, des truands actifs dans nos banques et des protecteurs zélés de notre économie, des vicieux dragueurs dans l'intimité et des rhéteurs moralistes avec une barda de tabous et de préjugés sur les plateaux de télévisions, des censeurs sans scrupules de notre presse au petit matin et des vaillants défendeurs de notre culture au grand jour, des amateurs de commissions et des pourboires des multinationales dans les coulisses, puis, en apparence, des pédagogues-démagogues qui lancent à la cantonade des slogans nationalistes et montent sur leurs ergots pour pointer du doigt une quelconque ingérence étrangère, si banale fût-elle! Suis-je assez explicite au sujet de ces vampires ma sœur?Je t'ajoute une petite information avant que mon poème en soit pollué. Ce sont des gens qui remplissent des sacs noirs de pognon et les relaient de main à main dans les halls et les couloirs administratifs. Ils ont partout de longs tuyaux, un système de copinage fort, un verbatim de clientélisme et des directives de cooptation rigides qui résistent à toutes les bourrasques, ils n'ont peur de personne, ils n'ont besoin ni d'une carte bancaire ni d'un quelconque code secret. Ce sont, dirais-je, des traditionalistes qui ne savent pas à quoi de tels machins les servaient-ils si ce n'est à compliquer davantage leur mission du pillage national à large échelle avec la bénédiction bienveillante et combien lâche de nos élus et de nos élites. Dans leurs voyages, les khobzistes ne voient que les avions ou les bateaux puisqu'ils ne sont jamais entrés dans un musée ni n'ont savouré une œuvre d'art. Leur quotidien s’arrête à une ritournelle haute en symboles : compter des liasses de billets sur des comptoirs des brasseries hexagonales puisque les nôtres, tu le sais bien, sont déjà fermées, et trimballer leur bagage de transhumants d’hôtel en hôtel.

J'ai vraiment le vertige! Je m'assieds sur la chaise, tire une bouffée de ma cigarette, cherche des mots et regarde, enragé, la pluie. Elle tombe plus acharnée que jamais. Mes yeux se taisent dans l'ennui d'une journée sacrifiée à ne rien faire. Depuis quelque temps, je suis devenu casanier, Marseille m'a ensorcelé avec ses amulettes et je ne suis qu'un bras dans son corps, une illusion dans ses rêves, un cheveu chenu dans sa tête. Ma vie tout entière en dépend hélas. Je suis dans un précipice, le cul entre deux chaises, l'une bancale et fragile, l'autre stable mais combien un supplice! Me croiras-tu si je te dis que ce poème est dédié à toi? Un poème ma sœur ça ne se mange pas, ça se lit, ça se déguste. Un poème, ça fait rêver, ça donne des ailes, ça rajeunit l'esprit. Un poème, ça vient des tripes! Maintenant que je suis devenu vieux célibataire, je n'ai que deux béquilles qui m'aident à surmonter mes tristes jours : la solitude et la poésie! Dès que la première m'envahit, la seconde me sauve. Mon problème, j'ai peur de me confesser, c'est que j'appartiens à un pays que je n'habite pas et habite un pays auquel je n'appartiens ni n'appartiendrai, quoique je fasse, jamais! Triste sort d'un exilé comme moi!J'espère seulement n'en pas avoir d'envieux! Eh ma sœur! Le secret de mon attachement à la poésie, c'est que celle-ci ne ment pas et demeure fidèle à mes tristesses, tu peux râler tout ton soûl, elle reste la même, tu peux tricher, boursicoter, spéculer toute ta vie, elle ne bougera pas d'un iota. Un poème ne se fond pas dans le moule, il choisit son chemin tout seul, je n'ai pas besoin de grands théorèmes euclidiens pour te l'expliquer. Car si un matheux est enivré par le calcul, un égoïste par ses sous, un maçon par ses briques, un peintre par ses desseins, le poète lui est hanté par la méditation. Quel mauvais temps!La pluie tombe toujours ma sœur et je ne sais pas quoi coucher sur ma feuille, je ferme les volets de ma fenêtre et en tire le rideau car le bruit me gêne. Un poème ça peut prendre des jours, des mois voire des années pour pouvoir éclore et accoucher d'une merveille. C'est une longue construction qui nécessite du génie et de la concentration. Puis sais-tu ma sœur que les grands philosophes sont des poètes! Aristophane, Périclès, Adonis, Omar Khayyam, Bertrand Russel? Parbleu! Pourquoi je cherche midi à quatorze heures? Je cesse d'écrire, l'inspiration a fui entre les lignes du temps. Je m'allonge sur mon matelas, prends le coran. Quoique ma foi soit plus ou moins déficiente, ça reste mon livre de chevet préféré depuis que suis en hexagone. J'en psalmodie des versets, ça m'apaise, ça me situe dans les contours de cette réalité fuyarde à laquelle je fais face. Autant en apprendre des rudiments qu'à les mélanger à mes vers! La poésie, c'est un exercice précis, si tu dérapes, tu obtiendras au mieux un sourire contrit, plus sûrement une réprimande ou un froncement de sourcils. Ça peut aller parfois jusqu'à la potence, là tu seras dans un funeste guêpier, la mort ou la résignation! Ça ne sert à rien alors de caresser l’intelligence dans le sens du poil, soit les gens se retourneront contre toi ou se rendront compte que tu es nulle, tu sombres alors dans l'anonymat. C'est pourquoi, avant que j’achève un poème, je m'assure bien que les rimes se coïncident, la musicalité douillette et le sens compréhensible par tout le monde et surtout que l’ambiguïté a définitivement tiré sa révérence. C'est le minimum requis! Un poème n'est pas prédestiné à atterrir sous les lambris dorés de la république mais à être savouré par des âmes philanthropes, mécènes, humanistes et généreuses puisqu'il est à même de troubler les satrapies, ébranler les gérontocraties et mettre à nu les oligarchies. Un poème réchauffe les cœurs de tous les miséreux, les laissés-pour-compte et les exilés. Ça fait pas gagner d'argent mais donne beaucoup de sens à la vie. Ça serait peut-être inutile de te rafraîchir la mémoire en te disant, quoiqu'en pensent les politiques, que Darwich est l’âme de la Palestine, Petofi celle de la Hongrie, Shakespeare, celle de l'Angleterre...! Je ne te cache pas, moi, je suis resté célibataire à cause de la poésie! J'ai demandé sa main, me suis marié avec elle et coule mes journées dans son berceau de verdure! Ce n'est pas vraiment gratifiant de te l'avouer à toi qui me voulais de toutes tes veines père ou grand-père bien que ce soit l'amère vérité. C'est lourd d'assumer une charge pareille. Plus lourd que n'importe quel poste ministériel, une fonction diplomatique ou même la magistrature suprême! Nos politiques n'en comprennent rien ou ne le savent même point car ils ne lisent pas les pauvres! Entre eux et la culture, il y a une muraille de Chine. C'est affligeant, j'en souffre. Et puis n'as-tu pas remarqué que la majorité des poètes sont morts jeunes! Lorsqu'on est poète, on pèse ses mots, on évite de blesser les autres, on châtie son langage, on fuit la démagogie, on devient circonspect et prévenant. Ce qui finit par être une angoisse! La poésie est plus qu'une science, c'est un art à part entière. Ça je l'ai su depuis que j'avais perdu mon grand frère il y a une vingtaine d'années, je ne puis témoigner de la déchéance du pays à cette époque-là. Mais mon grand frère et tant d'autres de ses braves amis ont le verbe juste, la métaphore pertinente, la voix rocailleuse, le courage à portée de main. Ils savent dire les choses telles qu'elles sont, il savent parler vrai et transformer les maux de l'Algérie en mots. Ils nous ont tous impressionnés, c'étaient des génies, j'en conviens.

Et puis la guerre ne pardonne pas!Pendant toute une décennie, mon peuple a aimé la mort et haï l'amour, il s'est plongé pieds et poings liés dans des choses qu'il ne ressent pas, une sorte de gouffre dont plus aucune voix n'en sort. Il n'a pu renouer les liens distendus avec son passé ni tenter de faire une synthèse avec son avenir. Il s'est arc-bouté sur des îlots d'exclusion, des reniements et des intégrismes, vécu seul son malheur et ne s'est attiré hélas la sympathie d'aucun peuple ni contrée. Ces années de folie et de plomb restent dans ses annales comme autant de points de suture d'une tragédie innommable! Mais mon peuple est brave et j'en suis fier parce qu'il a essuyé ses larmes, les mains coupées par ses bourreaux, apaisé ses blessures, le cerveau traumatisé par des attentats, des tueries collectives et des meurtres, résisté à ses élites carnassières et irresponsables, démenti les colporteurs de propagandes et de mensonges, dénigré les fanatiques et les intégristes de tout bords, la tête haute et le courage en bandoulière. Mon grand frère l'avait compris en son temps et s'en est inspiré pour affirmer sans ambages «si tu parles, tu meurs, si tu tais tu meurs, alors parles et meurs»! Tu le sais sans doute ma sœur, c'est un grand matheux, un journaliste-ingénieur de surcroît!

Je ne veux pas dormir ce soir, ma tristesse est bien difficile à cerner. Elle se dessine en creux dans les vagues de mes souvenirs. Mon poème me tracasse, j'ai envie de le finir vite mais je n'ai pas de force ni d'imagination, ma fontaine est à sec. Je prends un café, y mets trop de sucre, le touille machinalement sans trop y réfléchir, les colères et les amertumes, c'est pareil, elles viennent ensemble et se séparent comme deux vies en chagrin. J'en pleure parce que celles-ci sont les miennes. Seuls tes yeux semés de paillettes d'or peuvent m'assagir, ça me rappelle ceux de ma mère. Une mère, ça ne s'oublie jamais, un frère non plus, c'est notre chair, c'est notre sang. J'ai quitté mon pays mais son souvenir m'est resté en travers de la gorge et a habité mon cœur comme cette poésie, reine des déchéances, m'est devenue une maison-refuge. Mon Dieu comme ce café est amer! Le sommeil évaporé dans l'air ressuscite mes insomnies d'antan. Le temps accordé au puzzle est d'ores et déjà terminé ! Maintenant nos tribuns jouent les prolongations par clans, groupuscules et caciques interposés. Piètre jeu de oisifs! Ils recousent à la va-vite des déchirures béantes, adoucissent des larsens stridents et pour rester zen regardent en avant afin qu'ils ne se souviennent guère de leurs traces. Certains ont même eu l'outrecuidance, aidés en cela par leurs plumitifs, leurs nègres et leurs courtisans de nous convaincre de la nécessité de notre ralliement à «l'idéologie de l'attente». Connais-tu cette triste trouvaille ma sœur? C'est en termes anodins «l'institution du retard» dont je t'ai parlée, t'en souviens-tu? J'en suis dépité.

La pluie maintenant cesse, un calme revient, je rouvre ma fenêtre et regarde, le cœur encore optimiste, une étoile qui scintille au milieu des nuages.

Pour Campesina

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