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4 septembre 2012 2 04 /09 /septembre /2012 13:06

Le viol, le mariage forcé puis le suicide d’Amina Filali[1], jeune adolescente marocaine de condition modeste, il y a quelques mois, ont indigné certains marocains et en ont « dérangé » d’autres.

 

Des paraboles à perte de vue. (Source: Katelolo, VoyageForum.com)

 

Les « trois Maroc »

Une partie des citoyens s’est mobilisée contre la légalisation du mariage qui aurait conduit Amina Filali à se suicider demandant entre autres l’abrogation d’un article[2] dont l’application aurait permis, voire contraint Amina Filali au mariage avec son présumé violeur. Ces militants, peu entendus au Maroc avant le 20 février, pas suffisamment représentés, encartés comme trop proches de référentiels d’extrême gauche sont, aujourd’hui visiblement, bien plus nombreux. Face à eux, des membres du PJD soutenus par une partie des citoyens ont tenté de justifié le maintien de cet article.

Il y a quelques années, lors de la réforme de la Moudawana[3], deux marches furent organisées, l’une pour la réforme à Rabat réunissant quelques dizaines de milliers de personnes, l’autre contre à Casablanca réunissant plusieurs centaines de milliers de personnes. La réforme a finalement eu lieu, la volonté royale de la voir aboutir n’ayant pas été étrangère à son adoption.

Le Maroc est un pays où cohabitent, pour reprendre l’expression de Pierre Vermeren, des microsociétés. Une partie des marocains regardent les chaînes arabophones, une autre les chaînes françaises ; une partie des marocains tire son imaginaire conceptuel et idéel principalement du Machreq (l’Egypte et depuis une vingtaine d’années le Golfe) ; l’autre de l’Occident, et plus spécifiquement de la France. Ces deux Maroc peuvent parfois se rencontrer, vivre et faire leurs courses au même endroit, appartenir à une même famille, mais ils ne s’abreuvent pas des mêmes références, ne regardent pas les mêmes programmes télévisés et ne se connectent pas sur les mêmes sites internet.

Ces deux Maroc ne représentent néanmoins pas la majorité de la population, et c’est dans un troisième Maroc que s’identifient la plupart des marocains. Ce troisième Maroc observe le plus souvent une posture mimétique vis-à-vis de l’élite, une élite constituée des deux premiers Maroc – le terme d’élite recouvrant ici les personnes ayant un potentiel perçu et réel d’influence politique et sociale. Ce terme ne doit pas être entendu économiquement dans la mesure où, par exemple, certains acteurs dits « salafistes » ne disposent pas d’un pouvoir économique substantiel mais ont, cependant, un écho considérable dans la société marocaine.

Il est, par ailleurs, tout à fait concevable d’appartenir aux couches sociales les plus aisées et de s’abreuver intellectuellement davantage auprès de l’élite arabophone que de l’élite francophone. Inversement, on peut être issu d’un quartier populaire et adopter des points de vue et des postures libérales.

Ce que certains appellent la « schizophrénie marocaine » est justement l’impression générale qu’incarne par son comportement, ce troisième Maroc. Elle traduit de manière un peu exagérée les conséquences résultant du mimétisme de deux bassins conceptuels (Machreq et Occident, très différents voire antinomiques). Ce mimétisme est très souvent irréfléchi, obéissant notamment à la règle du « leader d’opinion ». Par exemple, en ce qui concerne l’influence islamiste, la « fragilité intellectuelle » est telle que du jour au lendemain certains/certaines adopteront tel ou tel comportement religieux car tel ou tel prédicateur appelle à l’adopter sur une chaîne satellitaire. Du côté des dits « laïcs », on constate l’existence d’un certain nombre de comportements qui de la même manière ne sont pas l’objet, en réalité, d’une appropriation réfléchie.

Le caractère décousu et parfois déconcertant voire contradictoire du comportement de bon nombre de marocains est le fruit de ces références symboliques/culturelles multiples au Machreq ou à la France, terreau idéel de la fameuse schizophrénie.

L’anecdote qui suit est symptomatique de cet état de fait. Un membre du réseau social « Facebook » réagit négativement à un «statut», appelant à lever l’interdiction pesant sur les relations sexuelles hors-mariage au Maroc, il commente : « la liberté est dans la dénonciation de l’injustice et la corruption et non dans la mouyou’a ». Le terme de Mouyou’a  peut se traduire par un mélange d’«impertinence» teintée d’indécence et d’ « absence d’importance ». Cette définition de la liberté est bien loin de celle inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789[4], fondement du corpus conceptuel libéral européen puis onusien. C’est bien cette définition et aucune autre qui irrigue l’imaginaire des peuples européens. Je me permets de la lui rappeler pour être, à chaque réponse, traité de « dogmatique ». J’aurais pu aussi lui rappeler celle de Omar Ibn Al-Khattâb, second calife de l’Islam : « Comment pouvez-vous réduire les gens en esclavage alors qu’ils sont nés libres »[5](« en esclavage » politique, mental et social, aurait-on envie de compléter).

Peut-on pour parler d’un (seul) peuple marocain ?

L’identité commune construite autour du référentiel monarchique ou de l’Islam est une chose, mais il en est tout autrement du désir des marocains de vouloir bâtir un avenir commun et solidaire. L’existence d’une telle volonté passe nécessairement par la réunion autour d’un minimum de principes communs d’organisation de la vie politique et sociale.

Au Maroc, cela implique la redéfinition des concepts qui structurent l’imaginaire du Marocain et sont pour la plupart très largement importés tel quel de l’étranger par un processus de traduction-transposition[6]. Il faut rappeler que 60% des marocains ne s’informent ni ne se divertissent auprès des médias télévisuels nationaux[7] alors que la télévision demeure de loin le premier média. Nous n’entendons pas tous la même chose par « liberté », « démocratie », « religion », « tradition » etc. La redéfinition des référentiels conceptuels et idéels ne peut se faire que par la compréhension des termes utilisés, et par les « laïcs » et par les « islamo-traditionalistes » au sein desquels on peut identifier une infinité de sous-groupes.

Construire une offre conceptuelle et politique adaptée 

Le débat pourrait mener vers une transformation-recréation des concepts occidentaux et moyen-orientaux, et il constitue le seul moyen de parvenir à la refondation d’un imaginaire collectif partageant des concepts qui soient issus d’un débat ne laissant personne de côté.

Ce débat passerait notamment par la rencontre et la confrontation des différentes élites. Pour rendre le débat envisageable, les « francophiles » devraient puiser dans le religieux pour déconstruire le discours islamiste et le purifier des raccourcis erronés qui relient de manière questionnable réalité marocaine, morale et islam.

Ceux qui se tournent vers des référentiels en provenance du Machreq pourraient quant à eux réutiliser les concepts occidentaux et déconstruire un certain discours transposant les concepts occidentaux ou les référentiels français sans la moindre réflexion.

Cette étape permettrait peut être l’avènement d’une production  intellectuelle proprement marocaine. L’« islam moderne » qui qualifierait le Maroc -selon la Constitution- n’existe pas encore, et c’est aux élites et à tous ceux – élites ou pas- qui souhaitent s’exprimer et y participer de l’inventer. Il ne peut être construit que dans le cadre du débat afin que d’un pays importateur de pensée, le Maroc puisse devenir un pays exportateur de pensée et créer sa propre modernité sur la base d’un bagage idéel précis et défini.

Alghali Tazi


[1] La véracité de ces faits est contestée par certains

[2] Article 475, alinéa 2, « Quiconque, sans violences, menaces ou fraudes, enlève ou détourne, ou tente d’enlever ou de détourner, un mineur de moins de dix-huit ans, est puni de l’emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 200 à 500 dirhams. Lorsqu’une mineure nubile ainsi enlevée ou détournée a épousé son ravisseur, celui-ci ne peut être poursuivi que sur la plainte des personnes ayant qualité pour demander l’annulation du mariage et ne peut être condamné qu’après que cette annulation du mariage a été prononcée.»

[3] Réforme du code de la famille au Maroc en 2004. Durcissement des conditions de polygamie, co-responsabilisation des parents, absence de tutelle nécessaire au mariage, la répudiation est compensée par la reconnaissance d’un préjudice pour la femme, le juge conserve cependant un certain nombre de libertés dans les différents cas

[4] « la liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui », article IV de la déclaration universelle des droits de l’homme

[5] « matha stha’âbadthûmû ‘nasa oua kâd ualadathûm ûmahathûhûm ‘ahraran

[6] Terme utilisé par Mohammed Tozy, Monarchie et Islam politique au Maroc.

[7] Affirmation de Mustapha El Khalfi (PJD), porte-parole du gouvernement et ministre de la communication, http://hespress.com/medias/50719.html article en date du vendredi 30 mars 2012

 

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