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14 septembre 2015 1 14 /09 /septembre /2015 10:46

Le mariage coutumier (ou mariage par la Fatiha) connu comme étant un mariage non déclaré aux autorités continue d’exister en Algérie. Comment ce phénomène résiste-t-il en dépit de sa non-reconnaissance par la loi ?

Rappelons d’abord ce qu’est un mariage par la Fatiha. Il s’agit du rituel de célébration du mariage par un imam ou un homme de religion, en présence des témoins et des tuteurs des deux parties.

Il s’agit en fait d’un acte de publicisation préalable à tout acte d’accouplement (aqd an-nikâh).

Sans un tel rituel, la consommation du mariage relèverait de la fornication illicite. Le mariage civil ou juridique est secondaire. Son utilité consiste à préserver les droits des époux aux yeux de la loi.

En revanche, la Fatiha est un engagement, sous l’égide du sacré, vis-à-vis à la fois du futur conjoint, de sa famille et de son groupe d’appartenance. Il est l’équivalent du serment qui engage solennellement celui qui le professe. Socialement, plus que l’acte juridique, le mariage est d’abord un pacte social théâtralisé sous forme d’une cérémonie organisée selon un rituel religieux.

Les raisons qui font que ce phénomène perdure comme vous le dites s’expliquent à la fois par des raisons sociologiques et anthropologiques.

La juridisation du mariage est un phénomène qu’appréhende une large partie de la société qui préfère ne pas avoir affaire à l’Etat et craint les contraintes qu’imposerait la loi en cas de litige.

Le contrat moral paraît plus simple et plus facilement gérable que le contrat juridique. Un exemple : un époux peut estimer qu’il a le droit d'avoir une seconde épouse ou à répudier la première au motif qu’elle ne lui a pas donné d’enfants mâles.

Les règles admises par le groupe, y compris par l’épouse et sa famille, peuvent l’admettre ; mais pas la loi qui peut le contraindre à respecter les règles d’équité et/ou à dédommager la première épouse.

La décennie de violence où l’Etat était absent dans plusieurs régions a encore accentué le phénomène et même à le relancer, alors qu’il avait commencé à reculer après l’indépendance.

L’âge moyen du premier mariage en Algérie a considérablement augmenté en une génération. La scolarisation, le chômage, le service national, la crise du logement et l’urbanisation sont autant de phénomènes qui ont influé sur la nuptialité en la faisant reculer de… dix ans en moins d’une génération.

Les réalités concrètes ont été radicalement bouleversées, tandis que le lien social continue à être régi par des règles demeurées relativement immuables.

Pour éviter un long célibat, vécu comme un opprobre, une femme peut accepter les règles imposées par un époux souhaitant échapper aux contraintes de la loi.

La féminité étroitement associée à la maternité rend le désir d’enfant si pressant que plusieurs femmes préfèrent renoncer à certains de leurs droits en vue de satisfaire un tel désir, certaines s’accommodent du statut de seconde épouse (socialement tolérable) que peut lui octroyer ce mariage coutumier.

Dans votre étude Alliances bénies en Algérie : nouveaux liens maritaux en Islam, vous avez révélé d’autres formes du mariage coutumier : mariage mysiar, une nouvelle forme qui résulte des influences salafistes.Ce mariage a-t-il pris de l’ampleur en Algérie ?

En effet, les réalités évoquées plus haut font reconsidérer les règles en essayant de les adapter au présent par une inscription dans l’imaginaire ancestral du groupe.

Ce type de mariage, né dans les pays du golfe, s’est propagé un peu partout au sein des classes moyennes des populations urbaines du monde musulman. En Algérie, il est en train de supplanter le mariage coutumier et de lui donner un habillage plus conforme aux réalités contemporaines.

Dans une société où tout rapport sexuel hors mariage demeure condamné par l’éthique à la fois religieuses et sociale, une chasteté absolue est imposée, notamment à la femme.

Or, les raisons évoquées plus haut ont considérablement allongé cette période de chasteté, rendant difficile l’observation d’une telle éthique. Les règles admises et supportées jusque-là deviennent si étroites et si irréalistes qu’elles ne peuvent qu’être enfreintes et/ou contournées. En général, deux jeunes urbains mettent plus longtemps, non pas à rencontrer, l’un et l’autre, l’âme sœur, mais à officialiser une relation qu’ils vivent depuis un moment déjà.

Quand cette relation «honteuse» ne peut plus être cachée, on tente de la conformer à l’éthique sociale ; c’est alors qu’un mariage coutumier vient souvent sauver l’honneur et apaiser les relations avec l’entourage…

Avec les mutations sociales à l’université, à l’usine, dans les administrations et dans l’espace public en général, les espaces de rencontre entre hommes et femmes se sont multipliés, favorisant les relations amoureuses malgré les velléités de contrôle que les gardiens du temple s’évertuent à tenter d’imposer.

Toutefois, nonobstant les évolutions dans les manières de vivre, les jeunes, hommes et femmes, tout comme la majeure partie de la société, demeurent attachés à la même matrice éthique que l’islamisme a revigorée.

Tout raisonnement public n’a de chance d’être entendu que s’il s’inscrit dans l’univers de l’islam en se réclamant du même référent fondateur. Un tel préalable permet de relire la norme et de réinventer la règle qui fait bouger les lignes.

Autres temps, autres mœurs ! Les prétendants d’hier avaient recours au mariage coutumier appelé `urfî, les urbains d’aujourd’hui optent pour de nouvelles formes de mariage, dont zawâdj El Misyar en constitue l’archétype. Zawadj El Misyar peut se traduire par «mariage du passant» (parce que le mari se déplace (yasîr) chez sa femme et ne réside pas avec elle).

Il s’agit d’une union matrimoniale «réinventée» conforme à l’esprit de l’acte de mariage religieux (`aqd an-nikah), et dont certaines clauses estimées non essentielles sont révisées.

Ainsi, une femme peut décider de renoncer à certains droits découlant tacitement du mariage en islam. Par une clause explicite du contrat de mariage, l’épouse dispense son mari de la cohabitation permanente et de sa prise en charge matérielle.

Autrement dit, l’époux n’est tenu ni de subvenir à l’entretien de son épouse ni de lui fournir le domicile conjugal. Il n’est pas dans l’obligation, non plus, de respecter le partage équitable des nuits entre ses coépouses en cas de polygamie officielle.

Le mariage misyâr apparaît essentiellement comme un moyen de vivre sa sexualité en adéquation avec des convictions devenues (obsessionnellement) culpabilisantes et un environnement sourcilleux quant à la question du licite et de l’illicite. Nous n’avons pas de statistiques fiables, mais tout porte à croire que la pratique est en train de s’installer au sein des couches urbaines, notamment les plus jeunes.

Peut-on considérer le mariage El Misyar comme une sorte d’évolution des mentalités suite aux influences ? Ce mariage engendrera-t-il d’autres conséquences qui risquent de perturber la famille sachant que du point de vue social cette formule n’est toujours pas admise ?
En soi, le phénomène est un signe de modernisation.

C’est une réinterprétation de l’initial relevant de ce qu’on a pu appeler «l’individualisme communautaire». L’individu tente d’exister dans son ipséité tout en se réclamant de sa communauté d’appartenance.

Le phénomène suppose une relative liberté de marge qui permet des choix d’alliances en dehors du cadre familial et traditionnel.

C’est également de nouvelles manières de vivre, où la femme s’assume comme individu qui ne dépend plus économiquement de l’homme, échappant ainsi à une domination souvent facilitée par le biopouvoir de l’homme pour parler comme M. Foucault.

Les conséquences de ce type de mariage sont déjà connues puisque vécues même par les couples du mariage traditionnel : familles monoparentales et déterritorialisation du nid conjugal. A la longue émergeront de nouvelles formes d’organisation domestiques comme celles déjà connues ailleurs.

L’interdit social, d’ordre sexuel notamment, n’est-il pas à l’origine de ce phénomène ? Peut-on considérer cette formule du mariage comme une forme de liberté sexuelle revendiquée par ceux qui l’adoptent ?

A coup sûr, il s’agit d’une liberté sexuelle sinon revendiquée du moins négociée. Le réputé Cheikh yéménite Abd al Madjid az-Zandâni avait provoqué un tollé en préconisant, notamment pour les musulmans vivant dans les pays occidentaux, le recours à des alliances qu’il a appelées «zawdjfriend», sur le mode de «boyfriend».

Pour prémunir les musulmans vivant un «islam transplanté» et donc amenés à adopter des conduites sociales semblables à celles des pays d’accueil. Il proposait un ijtihad vers un véritable «fiqh des minorités», fiqh al-aqalliyât, c’est-à-dire une sorte de droit diasporique. Ce sont là les signes d’une reformation de l’islam, mais à partir de ses propres logiques.

C’est sans doute une marche encore timide vers la modernisation, au sens d’une autonomisation de l’individu vis-à- vis des groupements naturels (famille, clan, tribu, communauté) au profit d’une affiliation à une entité reconstruite à une «communauté imaginée».

Certains cercles, notamment les associations féministes, considèrent ce mariage comme étant une forme d’humiliation pour la femme. Une femme majeure, instruite, peut-elle se laisser humilier aussi facilement ? Autrement dit, quelles sont les raisons qui encouragent les femmes à contracter ce genre de mariage ?

Plusieurs femmes peuvent aussi estimer y trouver leur compte. Un tel mariage peut protéger contre les convoitises d’un mari trop cupide.

Une femme salariée et disposant de son propre logement peut craindre qu’un mari trop autoritaire puisse s’immiscer dans la gestion de ses finances et l’empêcher par exemple de subvenir aux besoins de ses parents.

Par ailleurs, un mariage religieux peut aider à vivre une relation sans trop de contraintes et sans obligation d’engagement… précipité. D’autres femmes peuvent user de ce type de mariage pour précisément négocier leur relative autonomie.

En procédant à ce type de mariage publiquement, une relation amoureuse ou de concubinage peut être mieux acceptée par un voisinage ombrageux.

Précisons aussi que même si un tel contrat n’est pas à l’avantage de la femme, il contribue, sans doute, à déculpabiliser sur le plan strictement personnel. Car, ne l’oublions pas, la religiosité de la société (femmes et hommes) est un fait.

Mais je suis d’accord avec vous, les choses ne sont pas toujours à l’avantage de la femme. Mais il s’agit là d’une triste réalité qui peut être constatée à d’autres niveaux et dans d’autres situations hélas.


R. Djedjiga

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