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29 avril 2015 3 29 /04 /avril /2015 11:01

«Nous avons arraché l’homme algérien à l’oppression séculaire et implacable. Nous nous sommes mis debout et nous avançons maintenant. Qui peut nous réinstaller dans la servitude ?» (Frantz Fanon)

Longtemps je me suis senti perdu en parcourant les analyses des politiques, celles de chercheurs qui savent si bien expliquer ce qui s’est passé, mais qui ne se hasardent jamais à nous énoncer ce qui nous arrivera un jour, si ce sera le paradis ou l’enfer, l’opulence ou le mur que nous percuterons un jour pour être assommés pour longtemps.

Longtemps j’ai écouté des experts en économie nous décortiquer un système, sans oser cependant nous en proposer un autre, parce qu’ils sont frileux et craignent de se tromper. Longtemps j’ai consacré mon attention à décortiquer les analyses de ces financiers qui annoncent les déficits en perspective, qui pointent du doigt les malversations, la gabegie, sans avancer de système de révision des mécanismes et des moyens de contrôle pour les supporter.

Longtemps – jusqu’aux dernières manifestations qui ont secoué notre Sahara éternel, la marche des agents de l’ordre public sur la capitale – je n’ai pas compris l’apathie et l’acceptation d’un certain ordre qui s’essouffle pourtant. Adolescent, déjà je m’étonnais que quelques dizaines de militaires nazis aient pu entraîner, au terme de la Seconde Guerre mondiale, des milliers de prisonniers dans leur retraite sans que la moindre révolte ne se soit déclarée. J’affirmais, sûr de moi, que quelques dizaines auraient certainement péri en s’attaquant à leurs geôliers.

Mais des milliers de femmes, hommes et enfants auraient pu réussir une évasion spectaculaire. L’adulte que j’avais en face de moi émit quelques doutes quant à mes prétentieuses remarques, me rappelant que durant la guerre de Libération nationale, quelques gendarmes et quelques dizaines de soldats ont souvent pu encercler et fouiller des centaines de personnes, mettre sens dessus-dessous des dizaines de maisons sans que leurs exactions aient entraîné des réactions de notre part ou de nos aînés.

Pourquoi ? demandai-je

Manque d’organisation ? Non pas. Dans nos villes et villages, dans les camps de prisonniers, un réseau serré existait. Craintes de représailles ? Sans doute pas. Les manifestations de Décembre ont bien montré que des lieux, des quartiers entiers, des villes furent soudainement interdits à l’armée d’occupation qui se contentait, si l’on peut dire, de renforcer les barrages à la périphérie. Comme la révolte du ghetto de Varsovie fut un moment de résistance au fascisme. Militairement parlant, ces démonstrations de force ne pouvaient faire un long chemin face à la répression aveugle, sans discernement, mais elles démontrèrent, toutefois, des capacités populaires insoupçonnées. Une conscience nouvelle d’une puissance insoupçonnée qui oblitérait «l’impuissance acquise».

De quoi s’agit-il ?

A une classe d’élèves, divisée en deux groupes, furent proposés trois anagrammes sur une feuille de papier, dont ils devaient tirer un mot nouveau. Les élèves furent priés de lever la main dès qu’ils auront trouvé la première réponse, puis la seconde. Pour les deux premiers mots, les membres d’un seul groupe levèrent la main. Ce même groupe fut le seul à lever une troisième fois la main, après avoir trouvé la dernière réponse, simple, évidente.

Comment expliquer les conduites, les échecs du premier groupe d’élèves ? Comme il leur fut révélé plus tard, si les deux premiers mots étaient possibles à recomposer pour un seul groupe, pour le second groupe, en revanche, ils ne pouvaient l’être. Parce que leurs deux anagrammes, ceux que le premier groupe avait sous ses yeux, étaient différents de ceux proposés au second groupe. Il était impossible aux seconds «cobayes» de les associer à un mot en recomposant les syllabes.

Quand la psychologue, Mme Charisse Nixon, leur demanda de s’attaquer au troisième anagramme qui, lui, était identique pour les deux groupes, là encore, seuls les étudiants du premier groupe réussirent à trouver la réponse. Pourquoi ? Réactions, après coup, de ceux qui n’ont pas trouvé le mot, pourtant évident : «Je me sentis stupide», «bon à rien», «je me sentis frustré». Les étudiants — qui n’avaient pas réussi leurs deux premiers tests — avaient admis leur impuissance intellectuelle, alors que la troisième proposition était largement à leur portée.

Les psychologues appellent cette attitude «l’impuissance acquise». En somme, le double échec les condamnait à admettre le troisième comme une fatalité. Traduit en langage courant, de notre quotidien, à force de matraquage et de dysfonctionnement des appareils de notre gouvernance, tout échec revient à se réfugier derrière l’indiscutable «Allah ghaleb». L’«impuissance acquise».

Celle que combattent, sans beaucoup d’éclats, des militants associatifs, des partis d’opposition qui n’arrivent toujours pas à susciter une dynamique populaire. Frantz Fanon avait raison d’écrire, en juillet 1959, «nous avons arraché l’homme algérien à l’oppression séculaire et implacable». Il n’avait pas tort lorsqu’il affirmait : «Nous nous sommes mis debout et nous avançons maintenant.» Mais s’il ne voyait pas «qui peut nous réinstaller dans la servitude», nous, aujourd’hui, nous pouvons même les nommer.

Aujourd’hui, il faudra bien, au vu des dérives, que son œuvre serve de base à une réflexion sur une sociologie et une gestion de l’après-indépendance qu’il avait ressentie quand il confiait, qu’une fois libérés, il fallait penser à réparer les traumatismes causés par la guerre d’indépendance. L’impuissance acquise n’est jamais permanente. L’histoire enseigne qu’elle conduit, comme les situations évoquées précédemment, à des réactions violentes. Désespérées. Qu’il est encore tôt d’éviter.

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